07/12/2005

La DADVSI et son chiffon rouge

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Il était encore frais il y a 3 semaines, c’est devenu le sujet brûlant du moment : DADVSI ou projet de loi sur le Droit d’Auteur et les Droits Voisins dans la Société de l’Information.
Eclairé par EUCD.info, le monde du logiciel libre est à nouveau en ébullition. Il s’était déjà bien mobilisé et avec succès sur la question du brevet logiciel. Il connaît bien la force de mobilisation que le réseau permet et a donc lâché les chevaux, mais contre quoi au juste ?

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À la base, la DADVSI propose une transposition d’une directive communautaire, mais il est clair qu’elle est instrumentalisée à d’autres fins. Mais en ce moment, on parle finalement moins du projet de loi lui-même que de certains amendements grossiers, ceux dont je me faisait l’écho il y a donc 3 semaines, et surtout de propos hystériques prêtés à des représentants de certaines institutions à propos des licences libre et qui ont mis le feu aux poudres. Ces amendements disent ceci :

1° “Le fait, en connaissance de cause, d’éditer ou de mettre à la disposition du public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition non autorisée au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit littéraire et artistique qui ne comprend pas les mesures pour, en l’état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé”.
“2° Le fait d’éditer ou de mettre à la disposition du public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel autre que celui visé au 1° ci-dessus, dès lors que, ayant connaissance de ce que ledit logiciel est manifestement utilisé pour la la mise à disposition non autorisée au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit littéraire et artistique, l’éditeur n’a pas pris les mesures pour, en l’état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé.”
“3° Le fait, en connaissance de cause, de promouvoir directement la mise à disposition du public sous quelque forme que ce soit ou l’utilisation d’un logiciel visé au 1° et 2° ci_dessus”
“4° Les dispositions ci-dessus s’appliquent sans préjudice de l’application des dispositions de l’article L121-7 du Code Pénal et de celles propres à la loi du 21 juin 2004.”

Le 1° est une attaque directe grossière visant les Kazaa et autres eMule, puisque tout réside dans le “manifestement destiné”. Il faudra donc prouver que le logiciel concerné a été imaginé, conçu et réalisé pour être un outil de piratage. Whaou. Si ces amendements passent, cela promet des arguties juridiques assez relevées ! La suite est un développé d’hystérie sécuritaire liberticide primaire. Le 2° invite au black-listage des logiciels litigieux (et qui produira la liste, hein ?). Le 3° me fait penser – sur le principe réglementaire seulement, pas de méprise svp – à ces associations de lutte contre les sectes condamnées pour avoir soit-disant fait de la promotion illégale de celles-ci en tachant d’éclairer le public sur certaines d’entre elles. Ahurissant et impraticable.
Sur le fonds, et je le redis, tout cela montre une nouvelle fois la posture défensive d’un système et d’une industrie culturelle dépassée par les événements et qui subit l’avénement de la société de l’information. À jouer ce jeu perdu d’avance, elle va s’enfoncer un peu plus jusqu’à être dépassé par ceux qui auront su renouveler leurs modèles en phase avec ce qui se passe. Les digues élevées par ce genre de disposition ne pèsent pas bien lourd. Sur la durée c’est une péripétie.
Pour le reste, le logiciel libre se mobilise, mais au-delà de propos hystériques, rien ne le vise spécifiquement dans ces amendements. En outre, il faut se méfier des amalgames et mauvais procès qu’une juste cause draine malgré elle. Aussi, une fois passé le temps du coup de gueule, j’ai bien apprécié le propos de Cyril Fiévet, appelant à prendre un peu de recul et à réfléchir.
En clair, j’ai signé la pétition, non pas par rapport au logiciel libre, mais contre les dispositions liberticides et délirantes qui sont présentées.
Car je me demande si en agitant le chiffon rouge au nez des partisans du logiciel libre, on ne cherche pas à nous détourner de l’essentiel.
Pensez-bien que c’est il y a 10 ans, en 1985, sous la grande époque du premier ministère Jack-Lang de la Culture que date la dernière grande loi sur le droit d’auteur, celle qui a instauré les droits voisins, celle qui a notamment porté sur les fonds baptismaux la gestion collective des droits, incarnée par la taxe sur les supports vierge, au titre du droit à la copie privée qui vous autorise, entre autres, à ripper vos propres CD ou à graver vos compils avec la musique que vous avez légalement acquise.
Quand on sait combien la copie privée pose des soucis à certains promoteurs de cette loi et de ses amendements, eu égard aux bouleversements amenés par les usages numériques, on comprend bien que celui-ci ne devrait pas en sortir grandi. D’ailleurs, le projet de loi pose les conditions de la disparition de la rémunération de la copie privée. On y est ! Notre liberté personnelle à jouir de ce droit est en jeu, mais il faut aussi se souvenir que le fruit de la taxe qui en découle finance, de par la loi de 1985, des fonds de soutien à la formation et à la création artistique.
Au-delà du chiffon rouge, il faut peut-être s’investir dans une vision un peu plus large du débat et prendre conscience que la lutte mériterait un front commun plus large et plus coordonné.

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