10/02/2010

Au troisième âge de la démocratisation des médias

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Cela fait 3 ans maintenant que nous sommes entré dans l’ère du web social participatif. Celui qui a succédé au web 2.0, dans cette troisième phase de démocratisation des médias, après celle du microbloguing, à travers des plateformes de socialisation. Facebook,le premier du monde occidental parmi le millier de réseaux sur cette planète, a dépassé les 15 millions de membres en France le mois dernier, avec un rythme de croissance soutenu et un niveau d’usage imposant. Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, mais finissent par se voir dans le paysage, nous amenant à modifier nos perceptions. Le monde n’a pas simplement changé à l’ère digitale, l’approche que nous avons de celle-ci est elle-même remise en cause. Il est temps de se remettre en questions.

Ami de la génération Y, ta mère est dans Facebook et ta grand-mère bientôt. Les 35-49 ans pèsent maintenant légèrement plus que les 18-34 ans en nombre et en usages, les 50-64 ans étant presque deux fois plus nombreux que les teenagers (source Nielsen).
L’internet vieillit ? Oui, surtout, il présente une structure sociale proche de la société en général. Quoi de plus normal alors que l’on attend sous deux ans le plafonnement de l’accès internet domestique en France. Pendant ce temps, on va encore entendre cette semaine qu’Internet, média de jeunes, est une zone de non-droit peuplé de pirates et de pédophiles. Oh, mais, on a le droit de se maintenir dans une faille spatio-temporelle à la fin XXe siècle, avec une grille de lecture obsolète, en se persuadant que fondamentalement rien n’a changé. Mais passons …

Si je m’en réfère à ces chiffres récents du PEW (US certes, mais assez pertinent en contexte occidental), le bloguing régulier toucherai un internaute sur dix environ. C’est une activité exigeante, de plus en plus professionnalisée, composante d’un écosystème média en recomposition.
Il est bien loin le temps de la blogeoisie. Le blogueur moyen français n’est plus un geek compulsif de sexe masculin, mais une femme traitant de loisir créatif. On peut trouver ça futile, mais cela revient à négliger que nous sommes entrés dans l’ère des passionnés de tous poils et que cela procède de vraies opportunités relationnelles avec monsieur ou madame tout le monde (voir ce qu’a intelligemment fait Fiskars aux USA – par exemple).

D’après le PEW, les jeunes américains bloguent donc moins (-50% / 2006). On peut par contre considérer qu’ils sont au maximum de ce qui est possible en terme de socialisation. Si je me réfère à de récentes discussion avec des animateurs jeunesse, ils y sont tous, à moins d’en être empêché par la fracture numérique (pas celle de l’accès, celle de l’équipement personnel).

Nous sommes à l’ère où ne pas être connecté relève de l’exclusion sociale. Et quand Forrester dit que l’Internet mobile va dépasser le domestique rapidement, ce n’est pas une vue de l’esprit. Le boom des smartphones ne concernent pas que les cadres, c’est un marché de masse. L’iPhone est partout et a déjà imposé une conception du marché (celui des applications) et de l’expérience (tactile), que l’iPad s’apprête à transformer en servant des besoins domestiques. Il est d’ailleurs peut-être temps pour nous, travailleurs de l’information et geeks, de considérer que notre jugement et notre appréciation de la technologie n’est plus dominante.
On est passé au véritable marché de masse. On trouve que l’iPad manque de features ? Mais est-ce qu’on a bien réfléchis à qui il s’adresse et dans quel contexte d’usage ? Pendant ce temps, en pleine logique geek, Google Wave ne fait plus une ligne et Buzz semble un relais de circonspection plus qu’autre chose. Gmail est-il un bon cheval pour de nouveaux usages ? Tout le monde sait que ce n’est pas un outil d’usages sociaux de masse, notamment chez les jeunes, sans parler de leurs parents. Vous aussi vous recevez chaque jour des interpellations business via la messagerie ou le tchat Facebook ?

Sommes-nous encore à l’ère où il s’agit de lancer de nouveaux produits cherchant de nouveaux usages, où s’agit-il de transformer les terreaux d’usages existants ? D’ailleurs, c’était ça la vraie leçon du web 2, non ?

Les jeunes bloguent moins. Le PEW confirme aussi qu’ils ne sont pas plus nombreux sur Twitter que dans des univers virtuels. Après le fameux débat d’il y a six mois, le bon sens nous ramène à cette réalité basique : Twitter, c’est juste 140 caractères, mais cela demande une posture personnelle construite, l’habilité à se projeter, ce qui reste l’apanage d’une minorité.
Et je ne suis pas surpris de lire que Twitter séduit plutôt des diplômés et plutôt des femmes. 10% de blogueurs, 20% de twitterrers parmi la population internaute adulte nous dit le PEW. Suivent les fameux conversationalists de Forrester, élargissant le scope au tiers, avec ceux qui mettent à jour leur statut. Une approche plus simple et moins éditorialisée, qui nous amène à l’usage généralisé : le néo-voisinage.

Ce que je pense fondamentalement, c’est que l’on se trompe à mettre des gens dans des cases correspondant à des outils. Ce qui a du sens, c’est celui qu’ils en donnent, ce qu’ils cherchent à faire.

A part une minorité apte à élaborer de la stratégie personnelle médiatique, le commun des mortel se contrefout de sa prétendue “identité numérique”, il ne la conçoit même pas. Et pourtant, il arrive aussi sur les réseaux sociaux et il s’équipe aussi d’iPhone. Il sait déjà que l’iPad existe parce qu’Apple sait lancer ses produits de telle façon que tout le monde en parle et y prête attention.

Fondamentalement, et on le voit massivement aujourd’hui, l’immense majorité de la population socio-numériquement agissante utilise le web pour maintenir de la proximité et voisiner, pas pour bloguer et avec une posture conçue comme médiatique. C’est ce que faisaient déjà les anciens jeunes à travers le SMS, MSN, en skybloguant et facebookant. Certes, il y a une frange, 10-20% donc, qui a un projet éditorial ou médiatique, et qui se sert du web pour atteindre et structurer une audience. Il n’en reste pas moins que la majorité des gens a toujours fait la même chose à travers les outils qui lui ont été proposé et que ce sont les outils qui changent et qui sont simplement plus performant, étendent le champ des usagers, pas l’inverse.

Je suis assez surpris de la posture actuelle consistant à dénigrer l’apparente faiblesse de valeur de ce que les masses font dans Facebook ou le reste. Sans doute est-ce la fin d’un vieux mythe du “tous blogueurs”, de la doxa, d’une certaine idée de la Société de l’Information, d’un autre je ne sais quoi. Oui,

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