16/02/2005

In memoriam

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Les lecteurs de ce blog ont déjà noté que la Grande Guerre faisait partie de mes (nombreux) sujets de prédilection. J’avais promis un billet particulier pour février prochain, l’heure est venue. C’est un propos très personnel que je vous invite à partager.


Il y a aujourd’hui exactement 90 ans, Léonard Pradeau, fantassin au 14e régiment d’infanterie, succombait de ses blessures, quelque part du côté de Souain, en Champagne. C’était mon arrière-grand-père..
J’avais entendu ma grand-mère maternelle raconter que mes deux arrières-grand-pères avaient fait la Grande Guerre. L’un y avait survécut, l’autre y était resté et au-delà de quelques reliques, on s’en tenait là. Mais après son décés, en faisant le tri des affaires de famille, je suis tombé sur un document troublant : un bout de papier jauni, griffonné au crayon, qui sent le jour ou les gendarmes sont venus annoncer le décés.
Alors que je cultivais les lectures sur la Grande Guerre, cette découverte leur conférât évidemment un caractère particulier. Je me suis donc mis, comme tant d’autres ces dernières années, en quête de cet aïeul dont je ne savais finalement pas grand chose, car il faut bien constater que le tragique de la chose n’avait pas aidé à cultiver sa mémoire.
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Léonard Pradeau, éleveur limousin de son état, fut incorporé dès l’entrée en guerre dans le 14e Régiment d’Infanterie. Il était tambour (cela dira quelque chose à ceux qui connaissent mon frère).
Après avoir combattu en Belgique puis lors de la bataille de la Marne, le 14e RI participa à deux des trois offensives qui se sont succédées en Champagne, autour de Perthes-les-Hurlus, village au nom improbable et jamais reconstruit, célèbre pour ses “tranchées aux parois humaines” décrites par Jacques d’Arnoux.
Mon arrière-grand-père, qui était déjà passé par Charleroi et La Marne, survécut encore aux assauts du 7 au 9 janvier quand, après avoir reconquit un secteur de tranché, après un tir d’écrasement de l’artillerie (terme explicite !), son régiment y subit de violentes contre-attaques.
Malheureusement, après La Marne, l’état-major était persuadé qu’il allait rompre le front à cet endroit. Il s’évertua donc à lancer, face à des positions allemandes insensibles aux tirs de barrages, au même endroit et durant des mois, des unités perdre 50% de leur effectif en 50m de progression.
La seconde offensive de Champagne commença donc le 12 février par un échec sanglant. Les soldats prirent les tranchées adverses par surprise puis furent massacrés et refoulés par l’artillerie et la contre-attaque allemande. Cela n’empêcha nullement de remettre ça le 16, avec plus d’unités et une progression cette fois insignifiante.
C’est devant ces tranchées-forteresses aux nids de mitrailleuse bétonnés, aux abris insensibles à l’artillerie, que mon arrière-grand-père fut blessé et finit par agoniser dans les postes de secours de la Côte 200 (lieu-dit du décés). Deux mois plus tard, l’état-major arrêta les frais. 8km2 de terrain avaient coûté 50 000 soldats français et autant d’allemands…
Après avoir écarté l’hypothèse du rapatriement du corps dans le caveau familial, puis constaté après demande au Secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants que nul Léonard Pradeau du 14e RI ne reposait dans une tombe individuelle d’une nécropole française, je me suis rabattu sur l’ossuaire de Souain, qui rassemble rien moins que 21688 corps, dont des soldats de ce régiment tombés à la Côte 200.
J’ai conclu que le cimetière de guerre dans lequel il fut inhumé avait sans doute été pulvérisé, comme tant d’autres. Quand les corps ne remplaçaient pas les sacs de sable, l’artillerie se chargeait de les exhumer et d’assaisonner le terrain de restes humains. Les nécropoles et ossuaires de ce secteur rassemblent plus de 100 000 combattants français.
Pour l’anecdote :
– mon arrière-arrière-grand-père fut prisonnier pendant la guerre de 1870,
– son fils fut donc tué en 1915,
– son petit fils, pupille de la nation, fut lui-même mobilisé en 1940,
– je suppose que s’il avait eu lui-même un fils plutôt que ma mère, celui-ci aurait certainement fait la Guerre d’Algérie !
Avec trois générations victimes des conflits franco-allemands, je vous avoue que cela donne de la matière à ma conscience européenne.
À chaque fois que j’évoque cette histoire, mes interlocuteurs avouent généralement ignorer le sort de leurs aïeux durant la Grande Guerre, mais j’en croise aussi parfois qui ont suivi un chemin similaire au mien. Je vous invite donc à vous poser la question ou à commenter ce billet avec votre propre histoire.

D’un point de vue pratique, on n’aborde pas ce sujet sans avoir avalé quelques ouvrages élémentaires, ne serait-ce que “Les poilus”, de Pierre Miquel chez Terre-Humaine (Plon).
Le net peut vous aussi aider :
Depuis mes recherches, le Secrétariat d’Etat aux Anciens combattant a ouvert deux sites incontournables.
Mémoire des hommes,
permet d’accéder, entre autres, aux 1 400 000 notices individuelles des soldats tués pendant la Grande Guerre. Cette notice (scan de l’original) indique l’unité, le matricule, la date et la nature du décés, l’état civil de l’intéressé. Pas moins de quatre Léonard Pradeau y figurent, tout comme Alain Fournier et quelques grands noms célèbres. On peut rechercher par nom, prénom et date de naissance, mais il vaut mieux avoir toutes ces informations. Ils sont quand même très nombreux.
Sépulture de guerres, permet ensuite de rechercher une éventuelle tombe individuelle dans l’une de nos innombrables nécropoles nationales, mais comme vous l’avez compris, ils n’y sont pas tous…
Je vous conseille aussi un site perso très riche, avec le parcours détaillé de chaque régiment ainsi que des photos et l’indispensable index des lieux-dits.
Les outils cartographiques, notamment ViaMichelin situent efficacement le lieu de l’action.

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