22/04/2010

Vie privée et neutralité : même combat !

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Je reste perplexe devant le débat actuel sur la vie privée. J’ai eu l’occasion de dire ce que j’en pense, à savoir qu’elle est simplement revisitée à travers les modalités modernes que l’homo-numéricus a développé pour vivre avec ses voisins. Rien de nouveau sur le fond, juste une forme qui change, raison de plus pour ne pas jouer aux apprentis sorciers.
Mais dans le fond, c’est un faux débat, ou plutôt une discussion détachée qui va finir par (re)prendre sa place dans celle, plus générale sur ce que certains appellent régulation et qui est habillé sous le joli mot de neutralité. La neutralité est une notion bien comprise et claire pour les acteurs du net. Mais pour les autres, il y a cette fausse idée que le net est une zone de non-droit. Il ne l’est pas, enfin pas au sens propre où on a tort de vouloir le comprendre, il l’est au sens où il échappe à la régulation relative aux biens publics …

Tant Google que Facebook ont donné le bâton pour se faire battre, en prenant les utilisateurs pour des foules écervelées. On ne manipule pas les gens. On ne s’amuse pas, à leur place, parce que ça aurait un sens business de libérer toutes les données que les usages socio-numériques produisent, de le faire sans consentement. Un environnement social est un jeu et on ne change pas la règle du jeu sans que les joueurs ne soient d’accord.
Je m’attendais à ce qu’ils se prennent une bonne révolte dans la face, mais la nouveauté vient sans doute de la promptitude des politiques à s’en mêler, aussi. Dernier épisode en date avec cet appel des CNILs à l’attention de Google. Il devrait amener bien des responsables à réviser sinon découvrir leurs classiques de l’Informatique et Liberté. Mais il y a une autre signification.

Au niveau de massification où nous sommes, je crois que parler de régulation, vouloir faire des lois, ou des taxes n’est que l’écume des choses. Ça passera. Dans le fonds, le vrai mouvement c’est que nous parlons de bien collectif, sinon de bien public.

Cette approche du problème, Google la connaît déjà très bien. C’est celle qui lui vaut des tracas sur Google Books par exemple, celle qui fait qu’il s’en trouve parmi les gens de la chose publique à penser que la position acquise par Google en fait une sorte de service public planétaire. Quand on dépend trop de quelque chose, qu’il n’y a pas vraiment d’alternative et que la salubrité de la société et de l’économie en dépend, cela devient l’affaire de tous.
Google devrait être un service public. Mais un service public mondialisé, ça n’existe pas. En fait si, cela existe déjà à travers les ONG et Wikipedia est sans doute le premier et principal exemple de gestion collective du bien commun digital et mondial. Mais dans le cas de Google, peu importe que ce soit opéré par une grande entreprise globalisée. Ce statut ne doit pas détourner notre lecture des choses. Google est un grand acteur mondial sur un domaine relevant de l’intérêt général.
Ne faut-il pas voir autrement le bras de fer avec la Chine ? Ne faut-il pas voir autrement son entrée comme acteur géopolitique ?

Prochain épisode avec Facebook. Il est acté que Facebook a gagné la position du compte maître, celle de hub social, pour l’occident en tous les cas. Facebook touche au monopole et va bientôt goûter aux exigences que cette position requiert.
On en a eu un avant goût avec l’épisode allemand. Les limites commencent à être dressées. Comme pour Google, les questions de transparence et de neutralité vont aussi commencer à sérieusement se poser. Et vous verrez qu’il y aura aussi bientôt un peu d’écume législative et sans doute aussi des idées de taxe. 3,6$, la valeur d’un fan dites-vous ?

Et la neutralité dans tout ça ? C’est là que j’en viens au sens de mon propos : je suis très étonné de n’avoir encore rien lu qui n’aborde la fameuse neutralité du web sous cet angle ?

C’est très bien de reparler de neutralité par rapport à la tuyauterie. On aurait juste aimé que ce soit une évidence tellement il s’agit d’un pilier pour le développement du net et du business.
C’est intéressant de voir tout le monde fabriquer des gâteaux et de les découper, mais on n’est pas que dans une discussion de part de marchés.
Mais quand je vois qu’on fantasme sur l’idée d’une initiative “libre” (les guillemets c’est pour la traduction toujours subjective de “free”) visant à doter les gens d’un boîtier de management de la vie privée, je me dis qu’on est bien dans une approche publique, au sens propre du terme, considérant les données personnelles comme devant bénéficier d’une politique et des moyens de l’appliquer. Dans un des tous premiers billets de ce blog, il y a 6 ans, à Hourtin, il était déjà question de lutte contre l’accaparement et la centralisation des données personnes. C’était pour la bonne cause de l’administration électronique aux bienfaits des administrés. Déjà à cette époque certains, dont nous, avions dis qu’il n’y avait pas de raison de faire comme cela et qu’une solution P2P ferait le job. On est encore dans ce débat et, entretemps, j’ai d’excellent souvenir à avoir débattu du web comme bien commun.

C’est inévitable de considérer certains grands services fondamentaux du net, sinon le net en tant que tel, comme du bien public et procéder à ce titre.
Nous n’avons pas conféré au web un rôle fondamental à l’individu au même titre ou presque que l’accès à l’eau potable pour ne pas traiter les choses sous cet angle.

En disant cela je ne prend pas une position militante. Je pose un périmètre et je pointe une question. Je me souviens aussi simplement avoir déjà eu ces discussions, être déjà passé par ces chemins et avoir fini par poser la question du bien commun et de ce que cela signifie. On est dans un éternel recommencement, personne n’a tranché ces questions, les enjeux ont juste grossis et il y a maintenant d’autres joueurs pour lesquels cette notion a une signification régulatrice bien particulière.
Ne nous trompons pas sur le sens des mots et sachons bien mesurer les conséquences qu’il y a à placer le digital en élément indispensable à la vie du citoyen du XXIe siècle. La neutralité, c’est bien plus que des tuyaux et la distribution du gâteau, c’est un cadre de confiance pour les gens au regard des services dont ils usent.

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